Dimanche 21 mars

Chers frères et sœurs,

A Jérusalem, une foule dense, compacte, envahit les maisons, les rues et les places. C’est bientôt la fête de la Pâque, et tout le monde se rassemble. Outre l’excitation ambiante, il y a cette année-là une attraction supplémentaire : ce fameux Jésus, le prophète, le guérisseur, celui dont tout le monde parle. Pour bien réussir son pèlerinage, il va falloir cette année non seulement monter au Temple, mais aussi voir Jésus.

C’est, grosso modo, ce que l’aubergiste qui les loge a dû dire aux pèlerins Grecs venus se mêler aux Juifs en prière. Il leur faut voir Jésus, ils ne peuvent pas passer à côté de cette occasion exceptionnelle. Cela tombe bien, il y a au moins un disciple, Philippe, qui parle Grec et qui pourra faire l’intermédiaire. C’est là que l’évangile se risque sur le bizarre. Au lieu de dire si oui ou non il veut bien rencontrer les pèlerins Grecs, Jésus se lance, à haute voix et au milieu de la foule, dans une longue prière à Dieu, qui semble totalement déconnectée de la demande qui lui a été faite. Il y parle d’une heure longuement attendue qui arrive enfin. Il parle de perdre sa vie, et du bouleversement intérieur que cela produit. Et il conclut par ce cri énigmatique : « Père, glorifie ton nom ! »

Il me semble que c’est de cette dernière phrase qu’il faut repartir, en sens inverse. Jésus ne demande pas, malgré son émotion, à échapper à la Passion qui s’avance vers lui. Ce qu’il demande concerne le nom de Dieu. Nous mesurons tous que le nom que nous portons n’est pas anodin, puisque nous passons notre temps à le répéter partout où nous allons, et parce qu’il joue un rôle-clef dans notre identité. Pour le meilleur, parfois pour le pire. Si notre prénom relève du choix, éclairé ou non, de nos parents – un choix récent, donc – notre nom de famille, en revanche, vient de bien plus loin. Il peut arriver que nous portions le même nom que quelqu’un qui s’est rendu célèbre pour d’excellentes raisons, et quelque chose de sa gloire rejaillit sur nous, sans que nous ayons rien fait. C’est, a priori, plutôt enviable. Il peut aussi se produire le contraire : un ancêtre, ou un homonyme, s’est rendu tristement célèbre – infâme – en raison du mal qu’il a commis et, comme dit Shakespeare, « le mal que font les hommes leur survit », et les pauvres qui portent le même nom de famille doivent porter, dès leur naissance, le poids énorme d’un nom sali, discrédité, honteux.

Je pense spécialement au cas de William Patrick Hitler. Vous devinez peut-être de qui il pouvait être le neveu. Lui a connu les deux situations : né en Angleterre en 1911, fils d’Aloïs, demi-frère d’Adolf, et d’une mère irlandaise, il fut d’abord flatté dans les années 1930 d’avoir un oncle connu, et parti pour l’Allemagne en espérant que grâce à son nom on lui confierai de hautes responsabilités. Sentant le vent tourner, il repartit en Angleterre puis émigra aux Etats-Unis, où porter son patronyme se révéla assez compliqué, et le poussa à s’engager comme volontaire dans la Navy. Blessé au combat et décoré, il revint en Amérique et finit, pour se simplifier la vie, par changer de nom de famille…

Ce qu’il arrive avec nos noms de famille arrive aussi avec le nom de Dieu. Je suppose que, dans nos assemblées paroissiales, le nom de Dieu suscite la joie et la confiance. Mais dans tant de lieux dans le monde, chez tant de personnes, ce nom est source de peur, de mépris et de haine. Et on peut ne pas nécessairement blâmer ces personnes. Si vous n’avez entendu le nom de Dieu invoqué, ou hurlé, que dans des situations de violence, si le cri « Dieu est grand » vous fait sursauter parce que vous pensez qu’il va être suivi d’une explosion, si le nom de Dieu est utilisé pour justifier les actes les plus abjects, alors il y a de bonnes raisons, hélas, pour que le nom de Dieu soit déshonoré.

Jésus a bien conscience de cela, et c’est l’objet même de sa prière. Parce qu’il sait bien que le nom de Dieu n’est pas aimé, tant il a été utilisé abusivement par les hommes, il voit aussi que sa mission consiste à glorifier le nom de Dieu, à lui rendre sa gloire, sa vérité, son sens authentique. La seule solution pour le Fils qui veut laver le nom de son Père, c’est d’aller plus loin dans l’amour, de tout donner en se donnant lui-même. Si le nom de Dieu est une source de division, alors il faut que ce nom passe par le dépouillement de la croix pour changer de sens, et pour redevenir source d’unité et de rassemblement dans l’amour : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »

Chers frères et sœurs, alors que nous touchons au terme de notre carême, si nous aussi nous voulons voir Jésus, voyons aussi ce que Jésus nous révèle : il nous redit qui est son Dieu, il nous redit que le nom de Dieu est Père, et son nom est glorifié quand nous sommes ses enfants, à la suite du Fils unique. Contrairement à William Patrick Hitler, il n’est juste ni d’utiliser le nom de Dieu, ni de le mépriser, ni de le changer. A l’orée de la Passion, soyons fiers de notre nom de famille commun, celui d’enfants de Dieu, et prenons les moyens de le glorifier en faisant, jour après jour, de notre vie une offrande d’amour.

Amen.

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