Dimanche 24 mai


« Ne bougeons plus ! »
« J’entendis un déclic aussi fort que celui d’une serrure, et M. le curé compta : « Un, deux, trois ! Merci ! »
« – Nous habitons aux Bellons, dit mon père, à la Bastide Neuve.
« Je sais, je sais ! dit M. le curé. »
 
Image tirée de La Gloire de mon père, film français d’Yves Robert (1990).

Chers frères et sœurs,

Nous avons tant besoin d’Incarnation ! Depuis un peu plus de deux mois, notre paroisse est passée à l’heure virtuelle. Confinés dans nos maisons, à l’abri du virus autant que possible, nous avons réinventé nos relations sociales au moyen du téléphone et d’internet, faute de mieux. Nous avons passé d’innombrables coups de fil, nous avons fait fonctionner les réseaux sociaux, nous avons mis en place des sites de qualité, nous avons vécu des réunions, des prières et des apéritifs en visioconférence, nous n’avons pas été inactifs. Mais ce matin, comme il est bon de se retrouver en chair et en os ! Comme nous avons besoin d’Incarnation ! Comme nous sentons que la vie heureuse passe par la joie de se voir, de se parler, à défaut de se toucher, « pour de vrai », et non par écran interposés.

Nous avons besoin d’Incarnation : ce pourrait être aussi le résumé de ces dix jours si particuliers dans la liturgie. Jeudi, Solennité de l’Ascension, l’Incarnation du Christ a pris une dimension nouvelle : en montant s’asseoir à la droite de Dieu, Jésus a fait entrer notre humanité au ciel, il a mis de l’éternité dans notre condition mortelle. Dimanche prochain, Solennité de la Pentecôte, nous célébrerons l’envoi de l’Esprit-Saint sur l’Eglise, par lequel notre humanité est habitée par Dieu et mue par lui, l’Esprit qui nous oriente vers le Père. Entre les deux, dix jours d’attente se passent et, ce dimanche 24 mai 2020, c’est un jour de fête inattendue qui nous est donné, un jour où nous pouvons chanter, avec le psalmiste : « Quelle joie quand on m’a dit : nous irons à la maison du Seigneur ! »

Oui, après deux mois d’Eglise virtuelle, quelle joie d’aller en chair et en os à la maison du Seigneur qu’est notre église paroissiale. Dans notre enthousiasme, on serait presque prêts à chanter l’hymne national : « Le jour de gloire est arrivé ! » Et l’on n’aurait pas tout-à-fait tort. Car notre besoin d’Incarnation est tout simplement un besoin de gloire. Vous l’aurez remarqué, j’espère : partout dans les textes de ce dimanche, il est question de « gloire » et de « glorifier ». Jésus n’a que ce mot à la bouche : il l’utilise sept fois dans l’évangile, et, si l’on ajoute le chant d’entrée (très habilement choisi) et la prière de post-communion, nous aurons entendu ce mot une bonne vingtaine de fois. Et vous, qu’en dites-vous ? Aimez-vous la gloire ? Recherchez-vous la gloire ?

J’en ai bien peur, vous allez me dire non. Non, nous sommes bien élevés, la gloire, très peu pour nous. La gloire, c’est pour les stars de cinéma, pour les m’as-tu-vu, pour les orgueilleux, la gloire, c’est le terminus des prétentieux. Pas de ça chez nous !

Eh bien, vous avez tort. La gloire n’est pas ce que vous croyez.

On pourrait dire, je crois, que la gloire d’une personne, c’est tout simplement sa véritable identité. Prenez par exemple le magnifique premier tome des souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol, La Gloire de mon père. Au commencement du siècle dernier, le petit Marcel pose sur son père, instituteur marseillais, un regard d’admiration éperdue, et une anecdote en particulier va le marquer à vie : une partie de chasse dans les montagnes proches de la Sainte-Victoire, à l’issue de laquelle le père de Marcel va réaliser le « coup du roi », abattant d’un seul coup de fusil deux perdrix royales, des « bartavelles ». Mais le livre se termine sur une autre réflexion : le père, après quelques réticences, finit par accepter de montrer à ses collègues la photographie de son exploit, et Marcel conclut : « J’avais surpris mon cher surhomme en flagrant délit d’humanité : je sentis que je l’en aimais davantage. »

Voilà une belle illustration de ce qu’est la gloire : c’est à la fois l’exploit du père de Marcel tuant les deux bartavelles, ce qui montre qu’il est exceptionnel, et son consentement à en diffuser la photo, ce qui montre qu’il est comme tout le monde. Marcel est fier de son père et découvre aussi qu’il n’est pas parfait, et que c’est tant mieux : bref, il prend la mesure de qui il est vraiment, il découvre l’Incarnation de son père. Il en va de même avec Dieu. Toute la mission du Christ est de faire connaître aux hommes qui son Père est vraiment, alors que le monde est rempli de fausses idées de Dieu, alors que les uns nient son existence, et que les autres tuent en son nom. Jésus vient glorifier Dieu en révélant que Dieu est amour, et il le fait par son Incarnation. On y revient toujours… nous avons tant besoin d’Incarnation !

Il y a dix-huit siècles, dans une formule célèbre, le grand Saint Irénée, notre évêque émérite, a dit que « la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu. » Le but de notre vie chrétienne, ce n’est pas de nous évader de ce monde compliqué, mais de l’aimer et de le porter à la rencontre de Dieu : ce monde a tant besoin d’Incarnation ! C’est notre vie selon la règle de l’amour, ici-bas, qui glorifie Dieu, c’est-à-dire qui révèle qui il est, « pour de vrai ». Puisse ce temps de la reprise libre du culte public nous donne de renforcer notre amour fraternel, en nous tournant plus et mieux vers le Christ, vrai homme et vrai Dieu, notre frère et notre maître, le Verbe Incarné,

Amen.

Père Martin Charcosset

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