Dimanche 28 août 2022-Vingt-Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Il existe à Lyon un restaurant gastronomique dont le « concept original » (comme on dit), consiste à ce que le repas se déroule totalement dans le noir. Je n’y suis jamais allé, mais j’ai lu sur son site internet cette intéressante explication : « Lorsqu’on mange sans voir, tous les autres sens se développent, les aliments prennent une saveur exceptionnelle. » Et logiquement, la carte n’indique qu’une chose : le prix des menus ! Le reste est une surprise. Le gastronome est invité à se laisser faire, à se laisser conduire à sa table, à aller à tâtons jusqu’à ses couverts, à renoncer à prendre son assiette en photo, et à deviner, sans le préjugé de ses yeux, quels sont l’odeur, la texture et le goût de ce qu’il mange. Cette expérience, en somme, consiste à pousser jusqu’au bout l’idée de « goûter à l’aveugle ».

Ce qu’un restaurateur lyonnais audacieux a fait, Jésus, il y a deux mille ans, en avait rêvé. Car ce restaurant dans le noir total est exactement le contraire de la salle à manger où Jésus est invité, dans l’évangile de ce dimanche. Dans ce repas de sabbat, les invités n’ont manifestement aucun souci ni de leur assiette, ni de leur verre. Le goût de ce qui leur est servi leur importe peu. Ce qui compte dans ce dîner, c’est d’abord d’y être invité, et, ensuite, c’est de voir et d’être vu. On s’épie, on se jauge, on se compare, on se jalouse, et on joue des coudes pour être placé à côté de l’influent chef des pharisiens. Saint Luc ne précise pas le nombre des convives. Peut-être ne sont-ils qu’une poignée ; dans un petit cercle, les rivalités peuvent être encore plus redoutables, même (et peut-être surtout) quand ses membres n’en ont même plus conscience.

Jésus l’a bien remarqué : tout le monde dans ce repas s’inquiète un peu trop de l’image qu’il renvoie. Les invités désirent qu’on les regarde comme des gens importants, et le maître désire qu’on le regarde comme un bienfaiteur puissant et généreux. D’emblée, leur relation est biaisée : chacun attend un bénéfice caché, un retour sur investissement. Les invités et le maître de maison ont besoin les uns des autres pour exister socialement, mais on peut craindre qu’ils ne s’aiment pas réellement les uns les autres. Allons même plus loin : tous, ils souffrent du Complexe de l’Imposteur : ils savent qu’ils ne sont pas réellement à leur place, qu’ils ne sont pas vraiment ce qu’ils prétendent être, et qu’ils risquent un jour d’être démasqués publiquement. Profonde est leur mal-être, car ils savent qu’ils sont sur des sièges éjectables. Si les convives qui se sont assis d’eux-mêmes juste à côté du maître de maison se font rabrouer, et si le maître de maison perd un jour son statut de chef et son autorité, c’est pour les uns et les autres l’humiliation et la déchéance. Bref : ils se tiennent mutuellement, ils jouent aux puissants, mais ils savent que c’est un jeu de dupes, et que plus dure sera la chute.

Alors, que faire, dans une telle ambiance, si pesante, si lourde ? Jésus n’a pas la possibilité, d’un coup d’interrupteur, d’éteindre la lumière et de célébrer le sabbat dans l’obscurité. Mais, puisqu’il a remarqué ces jeux de regards horizontaux, il entreprend de tourner les regards à la verticale. Quand on regarde vers le haut, on cesse de s’observer mutuellement, on sort de la logique de la comparaison.

Quand on regarde vers le haut, on se tourne aussi vers un but à atteindre. Car celui qui s’est assis de lui-même à la place d’honneur, ou celui qui a le statut de chef, n’a plus d’objectif qui le motive, plus d’ambition qui le stimule : comme le Maréchal de Mac-Mahon après la prise de la forteresse de Malakoff, il n’a plus rien d’autre à dire que « J’y suis, j’y reste ! » Tandis que se mettre à la dernière place, inviter des pauvres à sa table, non pas pour les exhiber à la bonne société mais pour manger avec eux, c’est changer de regard et se tourner vers un nouveau but, c’est se laisser faire plutôt que de tout contrôler.

Quand on regarde vers le haut, au-delà du ciel, c’est vers Dieu que l’on regarde. Quand Jésus parle à cette petite assemblée, ce n’est pas pour lui donner des leçons de savoir-vivre, mais pour lui parler de Dieu, ce maître de maison invisible au regard mais disponible à l’oreille qui écoute, Dieu qui jusque-là a été le grand absent de ce repas de sabbat. Devant Dieu, nous sommes tous des pauvres, des estropiés, des invités incapables de lui rendre la vie qu’il nous a donné. Tant mieux ! Dieu n’attend pas que nous la lui rendions, mais que nous la vivions. « Toi, quand tu donnes un repas, invite des aveugles »… comme dans un repas les yeux fermés, ou dans le noir, Dieu nous invite à goûter son amour, gratuitement. Car il ne veut pas que nous soyons sa clientèle, mais ses amis, ceux qu’il invite à « avancer plus haut », à sa rencontre.

En ces jours de rentrée, que le Seigneur purifie le regard que nous posons les uns sur les autres, vieux paroissiens et nouveaux venus. Au-delà de nos préjugés, de nos vanités, de nos ambitions et de nos craintes, qu’il fasse de nous une communauté aux sens en éveil, au regard tourné vers les réalités d’en haut, à l’oreille ouverte pour l’entendre nous dire : « Mes amis, avancez plus haut ! »

Amen.

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