Dimanche 28 février

Chers frères et sœurs,

La montagne est en toutes saisons un lieu magnifique, mais il y a deux temps dans la journée où elle est encore plus belle : c’est à l’aube et au crépuscule. A ces deux occasions, la lumière se pare de mille couleurs et vient raser les sommets, les découpant comme à la serpe et les soulignant comme à l’encre de Chine. Tout est illuminé ! Devant un tel spectacle, on a le souffle coupé et l’on se dit que les mots disponibles sont bien pauvres pour rendre compte de ce que nos yeux contemplent.

Il y a ainsi des spectacles, dans chacune de nos vies, que l’on ne décrit qu’en bredouillant. Ça tombe bien : Dieu recrute souvent des bredouilleurs. Ainsi, dans l’Exode, quand Dieu appelle Moïse à son service, celui-ci lui fait remarquer qu’il est bègue, et que s’il vient proclamer à Pharaon que le Dieu d’Israël veut libérer son peuple, celui-ci va rire de son médiocre discours. Ainsi aussi, j’imagine que c’est en bafouillant que Pierre interrompt la scène extraordinaire qui se produit sous ses yeux : « Rabbi, il est bon que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Parole maladroite, pleine d’émotion et de bonne volonté, parce qu’il sent qu’il faut dire quelque chose, mais qu’il ne sait même pas quoi.

Même saint Marc, un évangéliste inspiré, ce n’est pas rien, peine à décrire ce qu’il se passe sous ses yeux : la Transfiguration rend les vêtements de Jésus resplendissants, d’une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille. On est au bout du vocabulaire disponible, avec l’effet comique que soulignait Coluche dans un sketch célèbre au sujet de la lessive « qui lave encore plus blanc que blanc ! » La précédente lavait plus blanc et elle lavait déjà bien ; mais la nouvelle lave encore plus blanc ! Et Coluche concluait : « Moi, j’ose plus changer de lessive, j’ai peur que ça devienne transparent après ! »

Au fond, Coluche, sans être ni un Apôtre ni un évangéliste, n’a pas tort. La Transfiguration mène à la transparence. Ce que nous devinons dans l’évangile, c’est que tout est illuminé : la blancheur qui se dégage de Jésus est une blancheur qui éclaire et rayonne, qui laisse voir en transparence, dans l’humanité du Rabbi de Nazareth, la divinité du Fils de Dieu. « Celui-ci est mon Fils : bien-aimé : écoutez-le ! » Dieu le Père parle personnellement aux trois compagnons émerveillés, Pierre, Jacques et Jean, en leur demandant de bien écouter ce que Jésus va dire. Et ce qu’il dit, c’est qu’ils n’auraient le droit de raconter ce qu’ils venaient de contempler que lorsque « avant que le Fils de l’homme [serait] ressuscité d’entre les morts. » Et ils obéissent, en ce demandant ce que veut dire ‘ressusciter’.

Voilà donc les disciples bien avancés. Ils viennent de contempler une chose dont ils ont une idée, mais pas de mot ; et ils doivent attendre une autre chose dont ils ont le mot, mais pas d’idée. Ils ont vu la Transfiguration, qui est indescriptible ; et ils attendent la Résurrection, qui est incompréhensible. Les pauvres ! Ou plutôt, les riches ! Car ils ont la chance d’avoir vu la gloire et de découvrir la foi. La gloire, c’est ce reflet de la Lumière née de la Lumière qui, dans des moments fugaces mais bouleversants, vient à notre portée comme lorsque la lumière de l’aube ou du soir, en montagne, descend sur nous avant de monter au firmament, ou en en redescendant. La foi, c’est la confiance et la capacité à avancer sans comprendre tout, sans savoir tout expliquer ou tout exprimer, parce que la foi n’est pas d’abord l’adhésion à des concepts, mais la rencontre avec une personne, de laquelle nous sommes appelés à devenir tellement proches qu’il puisse se faire voir, en nous, par transparence.

Chers frères et sœurs, un jour, tout sera illuminé, comme dans le bref instant de la Transfiguration. Nous verrons clairement ce que pour l’instant nous entrevoyons, et nous saurons exprimer ce que nos mots humains peinent à décrire. La foi nous conduit avec cette assurance que saint Paul résume si bien : « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? (…) Il a livré son Fils pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? » Ce temps du Carême est une invitation à regarder et à écouter, à faire provision d’images et de paroles, afin de suivre Celui qui nous ouvre la route, Fils bien-aimé du Père, lumière née de la lumière !

Amen.

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