Dimanche 3 décembre 2023- Premier dimanche de l’Avent

Lorsqu’il fut de retour enfin

Dans sa patrie le sage Ulysse

Son vieux chien de lui se souvint

Près d’un tapis de haute lisse

Sa femme attendait qu’il revînt

Chers frères et sœurs,

Guillaume Apollinaire – l’auteur de ces quelques vers – n’a pas écrit l’Odyssée, mais, comme des centaines d’autres écrivains, il l’a réécrite. L’épopée d’Homère, rédigée au huitième siècle avant Jésus-Christ, a marqué d’une empreinte indélébile toute la culture d’Occident, tant l’histoire qu’elle raconte est universelle : Ulysse, roi d’Ithaque, une petite île de la Mer Ionienne, est parti combattre à la Guerre de Troie, et une fois la guerre finie il se met en route pour rentrer chez lui ; mais ce désir du retour est retardé par les dieux, qui mettent en travers du chemin d’Ulysse des sirènes, une nymphe, un cyclope et beaucoup d’autres péripéties plus ou moins périlleuses. Il faudra vingt ans à Ulysse pour retrouver sa maison son fils Télémaque et son épouse Pénélope – et délivrer celle-ci de ses prétendants désagréables et envahissants.

Des centaines d’écrivains, des milliers peut-être, ont réécrit avec leurs mots l’histoire de l’Odyssée, parce que c’est une histoire universelle que celle de l’aventure du retour, du come-back. Revenir là où l’on a été, c’est se confronter au temps perdu et retrouvé, au regard que l’on pose sur sa propre histoire, à l’attente et à la fidélité de ceux que l’on a laissé jadis, et que l’on va revoir. Depuis des semaines, les évangiles du dimanche ne parlent d’ailleurs que de cela : dimanche dernier, nous écoutions la grande scène du retour final du Fils de l’Homme, venant dans sa gloire pour un jugement en forme de coup de théâtre. Le dimanche précédent, c’était une histoire de maître qui, de retour de voyage, venait voir ce que ses serviteurs avaient fait de leurs talents. Le dimanche d’avant, c’était un époux qui devait arriver au cœur la nuit, et que des jeunes filles attendaient, luttant vaille que vaille contre le sommeil…

L’évangile de ce premier dimanche de l’avent s’inscrit donc dans la continuité de ceux que nous avons entendus l’année (liturgique) dernière, et souligne le sens profond de l’avent : l’attente du Christ nous concerne tout autant qu’elle a concerné les Juifs qui, il y a vingt-et-un siècles, attendaient le Messie. Le rappel de sa naissance ne doit pas nous détourner du désir de son retour. Comme Ulysse à Ithaque, il revient ! Lorsqu’Ulysse, écrit Homère, arrive chez lui, après tant de péripéties, il s’habille en mendiant – précisément comme dans l’évangile de dimanche dernier – et il retrouve sa maison sens dessus dessous. Il est si bien déguisé que nul ne le reconnaît, sauf le fidèle Argos, son chien. « Lorsqu’il aperçoit Ulysse, il agite sa queue en signe de caresses et baisse ses deux oreilles ; mais la faiblesse l’empêche d’aller à son maître. » A peine l’a-t-il reconnu qu’il ferme les yeux pour de bon, après avoir tenu vingt ans dans cette espérance, un âge incroyable pour un chien. Quel extraordinaire modèle de portier veilleur que ce cher Argos, fidèle jusqu’au bout à sa mission !

Pendant toutes ces années, qui se doutait du secret de la longévité d’Argos ? Il semblait ne rien faire, ne plus servir à rien, dans le coin où il s’était posé, incapable de se déplacer. Aux yeux des passants, le vieux cabot n’avait plus rien du chien de garde redoutable qu’il avait pu être. À quoi peut bien servir ce chien hors d’âge ? devaient-ils se demander. À quoi peuvent bien servir les parents qui, la nuit, demeurent auprès de leur enfant malade, alors qu’ils ne sont pas docteurs en médecine ? À quoi servent les gens qui restent longuement au téléphone avec un ami accablé de tristesse, alors qu’ils n’ont pas de solution à ses problèmes ? À quoi sert une fille qui, toute la nuit, silencieusement, tient la main de son père qui agonise, alors qu’elle ne peut pas empêcher la mort d’arriver ? Veiller ne signifie pas d’abord faire des choses utiles, mais être fidèle et être là : « Son vieux chien de lui se souvint, (…) Sa femme attendait qu’il revînt. »

Être là, c’est devenir comme celui que nous attendons, l’Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu qui se souvient, qui vient, qui revient, qui est là. Pour vivre l’avent, il suffit de l’imiter. Et cela change tout. Il y a quelques jours, un autre Emmanuel était à Lyon, pour les funérailles quasi nationales de Gérard Collomb. Au début de la célébration à la Primatiale Saint-Jean, il évoquait une anecdote (que j’ai notée, puisqu’elle concerne notre ensemble paroissial) : jeune député, Gérard Collomb avait un jour été alpagué sur le marché de la Duchère par une habitante du quartier, qui lui avait adressé cette singulière question : « Qu’avez-vous changé dans ma vie ? » En ce premier jour de l’avent, il est bon d’entendre que la veille, même silencieuse, peut changer une vie. Nous pouvons oser le demander au Seigneur : toi qui est déjà venu à Noël, donne-moi, comme Argos, de veiller jusqu’au second Noël, jusqu’à ton retour : dans le temps, dans la nuit, parce que je sais que tu viens changer ma vie en me rendant fidèle. Qu’elle soit transformée maintenant par l’amour avec lequel je t’attends, avant d’être changée par ton retour, un jour, enfin.

Amen.

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