Chers frères et sœurs,
Saint Luc souligne que l’arrivée en ville de ces Mages venus d’Orient n’est pas passée inaperçue, et qu’elle a fait couler bien de la salive. Non seulement leur étrange caravane a attisé la curiosité sur son passage ; mais, surtout, la raison même de leur voyage étonne tout le monde : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. – En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. »
Beaucoup plus récemment, il y a quelques semaines, la crèche de Noël érigée sur la Place Saint-Pierre, à Rome, a, elle aussi, fait couler bien de la salive et beaucoup d’encre. Ses 54 gigantesques santons en céramique, réalisés en 1965 dans les ateliers de la ville de Castelli, dans les Abruzzes, composent une crèche peu conventionnelle, qui aura peut-être suscité plus de débats que de contemplation. A titre personnel, je mentirais en disant que je l’ai trouvée belle. Mais un point m’a intéressé, qui est la présence parmi ces statues d’un astronaute en combinaison, témoin de l’époque de la conquête spatiale de cette époque, tenant dans ses mains gantées une lune miniature.
Les Mages et les santons de la crèche vaticane ont en commun d’être de curieux personnages et des personnages curieux. Ils sont mus par une puissante curiosité et ils soulèvent l’étonnement sur leur passage. Le terme ambigu de ‘Mages’ nécessite chaque année de repréciser leur métier : ils sont « astro… », mais « astro… » quoi ? Ce ne sont pas des astrologues, des marabouts ni des charlatans, ils ne mettent pas dans votre boîte aux lettres des publicités promettant de vous révéler votre destin ou garantissant le retour de l’être aimé en 24 heures. Ce ne sont ni des astronautes ni des cosmonautes, ils n’ont pas de fusée et n’ont pas marché sur la lune, ce serait anachronique. Ce sont, plus vraisemblablement, des astronomes, des savants authentiques dont la science consistait à chercher dans l’observation du ciel les lois qui régissent l’univers et nos existences. Et eux-mêmes, très synthétiquement, disent qui ils sont : « Nous avons vu son étoile à l’Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
Ils ont vu. Ce premier verbe nous aide à les imaginer dans leur observatoire, se relayant au poste d’observation de leur lunette astronomique, tel le professeur Calys dans L’Etoile mystérieuse. Ils scrutent le ciel et en connaissent par cœur les constellations. Ils témoignent de la sorte que Dieu est polyglotte : Dieu s’adresse à chacun dans sa langue maternelle. S’il parle latin aux uns, patois aux autres, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il utilise le langage des planètes pour appeler ces Mages d’une manière qui les touche et qui suscite leur curiosité.
Ils sont venus. Car le langage des astres n’est pas suffisant : il est un signe qui demande une mise en route. C’est sans doute le contraste le plus frappant entre les deux types de connaissance que l’évangile met en parallèle. Les Mages, d’un côté, ont accompli un chemin considérable, car si c’est bien de Perse – l’actuel Iran – qu’ils viennent, le trajet aller entre Persépolis et Bethléem est d’au moins 2.200 kilomètres, selon Waze ! En revanche, Hérode, les grands prêtres, les scribes et les habitants de Jérusalem, qui sont à moins de deux heures de marche de la crèche, ont beau être bouleversés, ils ne font même pas le trajet alors qu’ils savent précisément où trouver le roi des juifs nouveau-né. Tant mieux pour lui, sans doute ! Mais il est saisissant de constater la différence entre un savoir qui met en mouvement et un savoir qui sclérose et qui anesthésie.
Enfin, ils ont vaincu. Leur victoire consiste à tomber aux pieds de l’enfant et à se prosterner devant lui. Et ce n’est pas paradoxal ! S’agenouiller devant Dieu n’est pas l’acte de soumission de celui qui a perdu le combat, mais l’acte d’adoration de celui qui se laisse aimer. Bien des années plus tard, Jésus rendra grâces à son Père en disant : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits… » Se souvenait-il d’avoir eu la visite de ces sages et ses savants assez humbles pour se faire tout petits, à l’image du tout-petit qui les avait attirés jusqu’auprès de lui ?
Ils ont vu, ils sont venus, ils ont vaincu. Les Mages agenouillés devant la crèche offrent les trésors de leurs coffrets et le trésor de leur science, ils offrent le trésor de leurs propres vies. Dans la drôle de crèche de la Place Saint-Pierre, l’astronaute de la crèche a décroché la lune pour l’offrir au nouveau-né. Nous-mêmes, offrons au Seigneur de Bethléem ce que nous avons et ce que nous sommes, ce qui nous élève, ce qui nous rend curieux, c’est-à-dire à la fois ce qui nous rend savants et ce qui nous rend singuliers. Alors, toute notre vie sera une épiphanie !
Amen.