Chers frères et sœurs,
Puisque Jésus, dans l’évangile, tire parti des anecdotes de la vie quotidienne, je vous propose de faire de même. Imaginons que vous soyez paisiblement installé chez vous et que vous n’attendiez personne. Soudain, l’interphone retentit. Vous décrochez le combiné et vous demandez laconiquement : « Oui ? » et à l’autre bout, l’on vous répond : « C’est moi ! » sans autre précision. Que se passe-t-il alors ? Celui qui vous a parlé s’imagine que vous allez reconnaître tout de suite sa voix et lui ouvrir, parce que c’est votre femme ou votre mari, ou votre enfant, ou votre meilleur ami, bref quelqu’un que vous aimez et dont la voix vous est familière. De votre côté, le déclic peut être immédiat ou ne pas se produire. Si alors vous demandez « Qui c’est, moi ? » il y a le constat d’un double échec : votre visiteur n’était pas si familier que ça, et vous, vous avez échoué à l’identifier.
Les interphones n’ont pas toujours existé, mais cette situation-là, avec des variantes, s’est sans doute toujours présentée depuis qu’il y a des hommes. On pourrait dire que par définition, un ami, c’est celui qui ouvre tout de suite sa porte quand je lui dis seulement « C’est moi ». Et cela est vrai aussi pour un berger : ce que les brebis comprennent quand il parle, ce n’est pas le sens de tel ou tel mot, mais c’est la mélodie de sa voix, c’est son intonation particulière qui fait qu’en un instant, les brebis sentent si le berger les rassure ou s’il les gronde, ce qu’il leur commande, et là où il les emmène.
Si j’ai utilisé à l’instant cette image de l’interphone, c’est à dessein, parce que celle-ci rassemble deux idées centrales de cet évangile du quatrième Dimanche de Pâques : d’une part, Jésus qui se présente comme le bon berger, celui dont la voix établit un lien de confiance entre lui et ses brebis, et d’autre part, Jésus qui se présente comme la porte des brebis. Dans le premier cas, il est assez facile d’imaginer Jésus en bon berger, et l’iconographie ne manque pas : un Jésus habillé en pâtre, avec un agneau sur les épaules et un bâton à la main, suivi par un troupeau de brebis… En revanche, comment nous représentons-nous Jésus comme la porte des brebis ? Et pour commencer, que voyons-nous spontanément en imaginant une porte ? La voyons-nous fermée, entrouverte, ou grande ouverte ? Voyons-nous une porte légère en contreplaqué, ou une porte blindée à triple verrou ? Il n’y a pas de bonne ni de mauvaise réponse. La porte n’est pas une chose bonne ou mauvaise en soi. Son rôle est de délimiter deux espaces, le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur, et le cas échéant de permettre ou d’interdire de passer de l’un à l’autre.
Fidèle à mes dadas, je repense à deux scènes du magnifique western La Prisonnière du Désert de John Ford, la toute première scène du film, dans laquelle, de l’intérieur d’une maison toute sombre on se dirige par un long travelling avant vers la porte qui ouvre sur le décor grandiose de Monument Valley inondé de soleil ; et la toute dernière scène, ou dans l’encadrement de cette même porte le héros, joué par John Wayne, hésite à entrer dans la maison puis s’en va vers le désert. Entre les deux scènes, il y a l’histoire d’une famille de pionniers dans le Far West, qui se construit une maison pour y être à l’abri, et dont la fille va être enlevée par des Indiens, avant d’être retrouvée, de nombreuses années après. La porte du foyer symbolise la frontière entre deux mondes pour le moment antagonistes.
Ces deux espaces, le dedans et le dehors, sont aussi essentiels l’un que l’autre, comme le montre très bien le psaume : au-dehors, on trouve les près d’herbe fraîches, les eaux tranquilles, mais aussi les ravins de la mort – en somme, c’est le lieu de la liberté ; au-dedans, on trouve la table mise, le parfum qui déborde, la maison du Seigneur pour la durée des jours – en somme, c’est le lieu de la sécurité. Liberté et sécurité, voilà ce que donne le bon berger à ses brebis, deux choses dont elles ont besoin, alors que le berger mercenaire soit les abandonnera soit les séquestrera. Il me semble qu’en cette période de confinement, nous mesurons que notre vie est déséquilibrée quand nous avons l’une et que nous manquons de l’autre : si nous avons la sécurité sans la liberté, enfermés chez nous, nous risquons la neurasthénie ; si nous avons la liberté sans la sécurité, hors de chez nous, nous risquons la maladie. Dans les deux cas, nous sommes en danger.
Le propre du bon berger est de garantir la circulation permanente de la sécurité vers la liberté et de la liberté vers la sécurité : les brebis entrent et sortent à leur guise. Opposer sécurité et liberté serait inutile et dangereux. Liberté et sécurité ensemble permettent d’aboutir à la vraie vie, la vie en abondance. Elles permettent de vivre dans la confiance et dans la paix.
Chers frères et sœurs, ce quatrième dimanche de Pâques est traditionnellement consacré à la prière pour les vocations, chacune de nos vocations de baptisés, et les vocations particulières au sacerdoce et à la vie consacrée. Si Jésus est la porte des brebis, il a besoin de portiers, que ce soit des portiers à plein temps ou simplement des gens qui ont la bonté de tenir un instant la porte pour celui qui les suit. Dans ces semaines où nous sommes privés d’une partie importante de notre vie chrétienne, spécialement de l’eucharistie, nous ressentons peut-être encore plus fortement le besoin que des jeunes donnent leur vie pour que leurs frères puissent trouver la porte et passer par elle. Prions pour eux, spécialement pour les jeunes de Champagne, de Dardilly, de la Duchère et d’Ecully qui ressentent l’appel du Seigneur, pour leur désir de la vie en abondance, pour leur joie de s’engager, pour qu’ils ouvrent généreusement la porte de leur cœur à celui qui y frappe en leur disant : « C’est moi ! »
Amen.
Père Martin Charcosset