Dimanche 4 septembre 2022 – Vingt-Troisième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Imaginez. Quelqu’un vous fait signe, s’approche de vous, à la fois souriant et grave, il s’éclaircit la voix et se lance : « J’ai quelque chose à te demander. » Il voudrait bien de la sorte attirer votre attention, mais cette entrée en matière suscite plutôt votre méfiance. Il en fait trop, il est trop poli pour être honnête…

Parfois, ce quelqu’un, c’est moi, le curé. Si je viens vous voir sur le parvis, après la messe, que j’attire votre attention, et que je commence par : « J’ai quelque chose à vous demander… », vous ne serez pas forcément rassurés. Car, en prévenant que je vais vous demander quelque chose avant de vous la demander, je laisse entendre qu’il y a un piège. Ces précautions oratoires vont vous mettre sur la défensive. Je le sais bien, mais c’est parfois difficile de commencer autrement !

« J’ai quelque chose à te demander » : Vous l’avez remarqué, c’est une citation de la deuxième lecture de ce dimanche, au début de la Lettre à Philémon. Nous ne savons pas grand-chose de ce Philémon : sans doute était-ce un habitant aisé de la ville de Colosses, au Sud-Ouest de l’actuelle Turquie. Comme beaucoup de gens, il possédait des esclaves – c’était aussi banal à l’époque que de posséder aujourd’hui de l’électroménager. Saint Paul avait résidé dans cette ville quelque temps, et il était devenu l’ami de Philémon. Il l’avait baptisé, et Philémon était un des piliers de la communauté chrétienne locale, de la paroisse, si j’ose dire. Paul était ensuite parti pour d’autres aventures. Philémon avait un jeune esclave du nom d’Onésime, et un jour il y eu une embrouille dont nous ne savons rien, qui conduisit Onésime à s’enfuir pour éviter des problèmes. Il retrouva la trace de Paul, le rejoignit et, à son contact, demanda à son tour le baptême… Voilà tout ce qui précède la lettre et sa fameuse formule, « J’ai quelque chose à te demander. »

En réalité, Paul a non pas une, mais deux choses à demander à Philémon. Une chose raisonnable et une chose folle. La chose raisonnable, c’est le retour à la maison d’Onésime. Après cette escapade, il faut qu’il revienne à Colosses, et qu’une réconciliation se produise. C’est bien raisonnable, et Paul prépare tout cela avec soin, la lettre en témoigne. Quelle sagesse ! Mais ce qui est plus surprenant, c’est la méthode. Saint Paul pourrait faire preuve d’autorité, et demander à Philémon de libérer son escalve. Il pourrait aussi dénoncer l’esclavage comme un crime, et ordonner à Philémon de libérer tous ses esclaves. Or, il ne le fait pas. Il sait que Philémon et Onésime ont, à leur baptême, reçu avec l’Esprit-Saint le don de la liberté chrétienne, et ce n’est pas rien. Il fait donc le pari que le maître et l’esclave vont désormais vivre comme des frères, par eux-mêmes, en faisant un bon usage de leur liberté. Et peut-être est-ce qu’un jour, Philémon, de lui-même, décidera de libérer ses esclaves… Quelle folie ! C’est que Paul croit que la conversion personnelle est plus importante qu’en la réforme des structures sociales. Et l’histoire lui a donné raison : par cette toute petite lettre, légère comme une brise, saint Paul a fait entrer dans le monde le cyclone de la liberté chrétienne.

Dans l’évangile revient ce double appel à la sagesse et à la folie. Jésus raconte deux petites histoires qui semblent se contredire : une très raisonnable, l’autre beaucoup moins. La première est parfaitement d’actualité : celle d’un maître d’œuvre qui, pour ne pas passer pour un idiot, étudie les cours de l’acier, du bois et de la brique afin de savoir s’il parviendra à terminer son chantier. Prévoir, calculer, planifier : des qualités très chrétiennes. Mais la seconde histoire est bien plus déconcertante. Un roi qui dispose de dix mille soldats réalise que son adversaire en a le double : que faire ? Jésus ne dit pas qu’il doit absolument renoncer. Ni qu’il doit attendre d’avoir augmenté son armée. Il dit juste qu’il doit réfléchir, car il a le choix… car on a toujours le choix. Il peut demander l’armistice. Ou bien, il peut, malgré tout, aller au combat avec ces pauvres moyens, mais aussi avec le double de courage, et, peut-être, d’autres ressources qu’il ignore lui-même.

Et Jésus de conclure : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » Je crois que l’on pourrait traduire : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout décider, à tout maîtriser, à tout contrôler, ne peut pas être mon disciple. » A la méfiance qui nous pousse à la peur spontanée, nous pouvons préférer la prudence, qui est l’art de savoir prendre des risques. Elle suppose d’être réalistes quant au monde qui nous entoure, et de savoir compter sur Dieu qui nous dépasse. Ce n’est pas « Sagesse ou Folie », c’est « Sagesse et Folie » ! Ainsi, pour être Chrétien, il faut que dans la balance de notre vie et de nos choix la sagesse et la folie soient à l’équilibre. Cet équilibre, c’est l’objectif et le fruit du discernement, qui consiste à faire bon usage de la liberté chrétienne. Je sais ce dont je suis capable, et je sais que Dieu peut tout, et que s’il me demande quelque chose, il me donnera les moyens nécessaires.

Vous le devinez, chers frères et sœurs, si je vous dis tout cela, c’est parce que c’est la rentrée et que je ne manquerai pas d’aller vers vous sur le parvis, aujourd’hui, dans les prochains jours ou au cours des prochaines semaines ; et, après m’être râclé la gorge, en prenant mon élan, je dirai : « J’ai quelque chose à vous demander… » S’il vous plaît, ne vous enfuyez pas aussitôt ; à l’inverse, ne répondez pas non plus « oui » trop rapidement, sans avoir entendu la question. Prenez le temps de vous asseoir, de réfléchir et de prier, bref, le temps de discerner. Rassurez-vous, je ne veux faire d’aucun de vous les esclaves de la paroisse, et si au fil des années certains sont devenus les esclaves de leur service, il faudra veiller à briser leurs chaînes. Ce que je vous promets simplement, c’est que chacune de mes demandes sera à la fois sage et folle : sage, parce qu’elle correspondra à vos talents ; et folle, parce que c’est seulement en comptant sur Dieu que vous ferez correctement votre mission. Que le Seigneur nous donne, tout au long de cette année, la dose de sagesse et la dose de folie nécessaires pour vivre comme des serviteurs fidèles, et des frères bien-aimés !

Amen.

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