Dimanche 6 novembre 2022 – Trente-Deuxième Dimanche du Temps Ordinaire

Chers frères et sœurs,

Vraiment, j’ai une profonde compassion pour le septième mari de la parabole… Mettez-vous à sa place, s’il vous plaît, ne serait-ce qu’un instant. Voilà un homme qui a vu ses six frères épouser la même femme, les uns à la suite des autres, et à chaque fois mourir assez rapidement après leurs noces. A chaque décès, c’est le même refrain : « Allez, au suivant ! » Quelque peu angoissant, n’est-ce pas ? Un jour, vient le décès du sixième frère, et le refrain retentit : « Au suivant ! » Et il ne reste plus que lui, le septième : j’imagine qu’il n’était pas très rassuré au moment d’épouser à son tour cette veuve à répétition. Et il n’avait pas tort !

« Au suivant » : c’est le triste leitmotiv des textes de ce dimanche. Sept frères qui meurent martyrs, les uns après les autres, dans la lecture du deuxième livre des martyrs d’Israël ; puis sept autres frères qui épousent en vain la même femme, les uns après les autres, dans cette parabole qui pour une fois n’est pas racontée par Jésus, mais par les saduccéens. Deux histoires un peu invraisemblables de familles où tout le monde y passe, de façon dramatique. Invraisemblable ? Ce n’est pas si sûr. Car les familles nombreuses ont presque toujours été la norme dans le monde, jusqu’au siècle dernier, et les aléas de la vie, de la santé et de la guerre créaient très souvent les conditions favorables pour ce genre d’histoire dans laquelle toute une famille disparaît, sans laisser aucun survivant.

Cette intrigue est d’ailleurs le point de départ d’un film célèbre, Il faut sauver le soldat Ryan (Steven Spielberg, 1998) : en juin 1944, simultanément, trois frères, tous soldats américains, sont tués à la guerre : les deux premiers sur les plages du débarquement, en Normandie, et le troisième quelque part dans le Pacifique. L’état-major se rend compte que leur mère va recevoir en même temps les trois lettres annonçant la mort de ses fils. Or il en reste un, le quatrième et dernier, qui combat en France, et selon ce que l’armée prévoit en pareille situation, une patrouille de sept soldats (tiens tiens), sous les ordres du Capitaine Miller, est envoyée à travers le bocage normand afin de lui sauver la vie et de le ramener sain et sauf à la maison, pour que la lignée des Ryan ne disparaisse pas complètement.

Dans l’évangile, il y a quelque chose à sauver, qui n’est ni le soldat Ryan, ni le septième mari, ni la pauvre veuve à répétition ; ce qu’il faut sauver, c’est la foi en la résurrection. Les saduccéens sont des gens sérieux et rigoureux, que l’on peut en quelque sorte comparer aux protestants : ils croient en « l’Écriture seule », c’est-à-dire à l’autorité des cinq premiers livres de la Bible, qui constituent la Torah, l’histoire du peuple élu et la Loi de Moïse ; et tout le reste de la Bible, selon eux, est sans valeur. Et comme, dans la Torah, le mot de résurrection n’apparaît pas, ils en concluent que la résurrection n’est qu’une doctrine inventée tardivement par des esprits faibles, pour se consoler de la mort. Ils se disent que si la résurrection n’est pas explicitement annoncée dans la Torah, c’est qu’après la mort, il n’y a rien. En racontant cette parabole, ils ouvrent la vanne de toutes les questions que la foi en la résurrection peut susciter, et ils entendent montrer à Jésus l’absurdité de sa doctrine. Par exemple : au paradis, Dieu ferait-il de nous des polygames à l’insu de notre plein gré ? Au paradis, nous retrouverons-nous avec le corps de nos vingt ans, celui de nos cinquante ans, celui de nos quatre-vingt-dix ans ? Retrouverons-nous nos vieilles connaissances comme quand nous étions amis avec elles, ou comme le jour où nous nous sommes brouillés avec elles ? Le paradis est-il la continuation de la vie d’ici-bas, avec les mêmes situations, les mêmes joies et les mêmes peines ?

Si Jésus répondait à toutes ces questions, « le monde entier ne suffirait pas à contenir tout ce qu’on écrirait… » Mais Jésus va à l’essentiel. Il ne dresse pas un inventaire à la Prévert de la vie de ressuscité, il ne donne pas un mode d’emploi exhaustif du paradis. Il n’explique pas le comment, mais le pourquoi. Ce n’est pas parce que la résurrection nous échappe qu’il faut renoncer à y croire. La résurrection est simplement un autre nom de la fidélité de Dieu. Quand Dieu, lui aussi, dit : « Au suivant », il n’oublie pas le précédent. Il ne compte pas par substitution, mais par accumulation.

Ainsi, dès la Torah, Dieu décline son identité à partir de ceux envers qui il s’est montré fidèle : « Moïse lui-même […] appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » A vrai dire, la traduction n’est pas très bonne : le texte grec de l’évangile dit : « Dieu d’Abraham ET Dieu d’Isaac ET Dieu de Jacob. » Les traducteurs ont oublié ce petit mot indispensable, kai, c’est-à-dire ‘et’. Car Dieu ne connaît pas la virgule, il ne connaît que la conjonction de coordination. Il ne nous aime pas autrement que un par un, personnellement, fidèlement, éternellement. Il est le Dieu d’Abraham ET Dieu d’Isaac ET Dieu de Jacob ET Dieu de Moïse ET Dieu de Jésus-Christ ET Dieu de chacun d’entre nous.

Certes, chers frères et sœurs, il faut sauver la résurrection… mais, en réalité, c’est elle qui nous sauve. Elle nous sauve de nos fausses idées d’un Dieu fait à notre image, sur notre modèle. Oui, sauvons la résurrection, non pas comme les militaires partis à la recherche du soldat Ryan, obligés d’user de violence pour le défendre, mais comme des frères, tous unis et tous uniques aux yeux de Dieu. Car la résurrection n’est pas seulement pour la vie future, mais pour la vie présente : elle est l’expérience de notre fidélité vis-à-vis de la fidélité de Dieu, lui qui nous aime, qui nous appelle et qui nous dit : « Allez : au suivant ! »

Amen.

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