Dimanche 7 mars

Chers frères et sœurs,

En entrant régulièrement au domicile des paroissiens, j’ai souvent remarqué, ces dernières années, la présence d’un même élément de décoration : un panneau de toile blanche ou grise, souvent affiché dans l’entrée ou à la cuisine, avec imprimées dessus les ‘Règles de la Maison’. La plupart du temps, ces règles sont une liste de verbes à l’infinitif : « S’entraider, garder la tête haute, ne pas jouer au ballon dans la maison, tenir ses promesses », etc. On veille à ce que les enfants aient souvent cette liste sous les yeux pour se la rappeler, et qu’elle n’échappe pas non plus au regard des visiteurs !

Pas de famille, de société ou de vie commune sans règles, et cela, Dieu le sait bien. Donner les règles de la maison de façon claire et belle, c’est justement ce qu’il fait sur le Sinaï, pour le peuple qui vient de sortir d’Egypte – ce dont la première lecture nous fait le récit. Il donne à Moïse les tables de la Loi, à charge pour lui de les faire connaître au peuple.

Si publier une bonne fois pour toutes les règles de la maison suffisait, ça se saurait. Les parents ont beau avoir longuement réfléchi à l’emplacement idéal pour installer le fameux panneau, force est de constater que souvent ils sont comme Moïse, forcé de répéter encore et encore la Loi de Dieu à un peuple à la nuque raide et à l’oreille sourde. C’est peut-être parce qu’il l’anticipe que Dieu fait preuve de pédagogie. Au lieu de donner la Loi sous forme de verbes à l’infinitif, d’ordres et d’interdits, il utilise deux autres techniques. La première, c’est la mémoire : il rappelle ce qu’il a déjà fait pour le peuple d’Israël. « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. » La seconde, c’est la promesse. Dieu assure ceux à qui il parle qu’ils réussiront à vivre ce qu’il leur commande, et c’est pourquoi il parle au futur : « Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage… » Il est comme le père qui dit à son enfant : Souviens-toi, je ne t’ai jamais laissé tomber. Aie confiance, tu peux le faire, tu y arriveras !

Cependant, c’est une situation plus sombre encore qui peut se présenter, et l’évangile cite un verset du Psaume 68 (69) : « L’amour de ta maison fera mon tourment ! » Parfois, en effet, dans certains cas précis, les règles de la maison se sont complètement délitées. A plusieurs reprises ces derniers mois, la presse a évoqué la situation de maisons dans la Nièvre et à Toulouse, que des squatteurs s’étaient appropriées, profitant de l’absence des propriétaires pour y entrer, changer les serrures et s’y installer. Le Temple de Jérusalem avait été bâti par Salomon pour abriter l’Arche d’Alliance qui contenait les tables de la Loi, et Jésus aimait ce lieu où il était venu trois fois l’an avec ses parents, en pèlerinage, et où à douze ans il ressenti l’évidence de se sentir chez lui, aux affaires de son Père. Or ce jour-là, venant au Temple une fois de plus, il est comme submergé par le sentiment que les règles de la maison de Dieu sont méprisées, et qu’elle est squattée par des gens qui la détériorent.

D’un bout à l’autre de la Bible retentit le même appel à se méfier de tout ce qui squatte notre relation à Dieu. C’est par exemple ce qui sous-tend le commandement « Tu ne feras pas d’image. » Depuis deux mille ans une quantité incalculable d’œuvres d’art ont représenté les scènes de l’évangile, la vie des saints, l’histoire de Jésus, la Trinité. Dans le régime de l’Incarnation, Dieu a pris un visage humain et ce visage s’est livré à notre regard. Ce n’est pas la représentation qui pose problème, mais un excès d’amour pour l’objet au détriment de ce dont il est le signe. L’icône mène vers Dieu, l’idole l’en détourne. Et il en va de même pour tout ce qui fait la vie de l’Eglise : pour juger de nos actes et de nos paroles, il convient de nous demander s’ils servent Dieu ou s’ils se servent de Dieu, s’ils aident à vivre les règles de la maison ou s’ils essayent de changer les serrures pour utiliser le Corps du Christ comme un coucou utilise le nid d’un autre oiseau et jette par-dessus bord ses colocataires.

Chers frères et sœurs, la vie chrétienne n’est pas une vie reposante. Se mettre au service du Temple de Dieu, du Corps du Christ, c’est exigeant, comme l’entretien d’une maison de famille : c’est une joie et un tourment, un bonheur et un souci tout à la fois. Comme Jésus dans le Temple, laissons l’amour pour la maison du Père nous guider dans ce que nous avons à trier, à nettoyer, à débarrasser, à restaurer, pour que notre cœur soit prêt à suivre le Christ vers la croix. Dieu nous en fait la promesse : il nous aime, et rien ne fera obstacle à son amour. Préparons-lui une maison digne de Lui !

Amen.

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