Chers frères et sœurs,
L’homélie de ce dimanche, je l’avoue presque avec gêne, ne m’a pas coûté beaucoup d’efforts. Pourtant, chaque année, lorsque revient la fête de la Trinité, les prêtres du monde entier se font des cheveux blancs pour trouver une image, une métaphore, une illustration de la Trinité qui soit à la fois originale, pertinente et pas hérétique. Et c’est loin d’être facile !
Cependant, cette année, l’homélie de ce dimanche m’a été servie sur un plateau. Voilà quelques mois, j’ai été contactée par la famille d’un Monsieur qui venait de décéder, et je les ai rencontrés pour préparer ses funérailles. Les enfants m’ont raconté la vie professionnelle de leur père, homme ingénieux et inventif qui avait travaillé pour la grande distribution. Et donc, les enfants en viennent à m’expliquer que leur père est l’homme qui a inventé le principe appliqué dans tous les supermarchés du monde : « Trois pour le prix de deux » – c’est-à-dire « Pour deux barils de lessive, ou pour deux pots de Nutella achetés, le troisième est offert. » En entendant cela, je me suis dit que je tenais mon homélie de la Trinité, et depuis presque six mois je garde cette idée bien au chaud…
Il me semble en effet que, pour entrer dans le mystère de la Trinité, la formule commerciale « trois pour le prix de deux » ne va pas si mal. Selon la formule, il y a deux éléments que nous avons à portée de main, et le troisième, a priori absent, est donné par surcroît. N’est-ce pas – presque – ce que dit saint Jean dans le Prologue de son évangile ? « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. » (Jn 1, 18) Nous ne pouvons connaître qui est Dieu le Père, et nous ne pouvons le rencontrer, que par l’intermédiaire du Fils, Jésus-Christ, venu nous faire entrer dans l’Alliance nouvelle, et du l’Esprit-Saint, qui sanctifie les Chrétiens dans l’Eglise.
Cette année, le diocèse de Lyon a mis à l’honneur son deuxième évêque, le grand Saint Irénée, évêque notre diocèse à la fin du deuxième siècle et théologien illustre de l’Eglise primitive. Dans son grand livre Contre les Hérésies, Irénée explique que le Fils et l’Esprit-Saint sont « les deux mains du Père », qui, de la Création du monde jusqu’à notre Rédemption, sont à l’œuvre, pour lui, au milieu de nous. Le Fils et l’Esprit sont les envoyés, les missionnaires, les délégués du Père, comme dans l’administration royale de Charlemagne, qui, faute de pouvoir se rendre lui-même dans toutes les villes et provinces, y envoyaient par deux des Missi Dominici, des inspecteurs royaux, qui représentaient le roi partout dans son royaume. Ainsi le Fils et l’Esprit procèdent-ils du Père et le révèlent-ils, partout dans sa création.
Enfin, la formule « Trois pour le prix de deux » est une idée qui s’inscrit dans un plan plus vaste, un plan de marketing pour grande surface, dont le projet est de faire du profit. La Trinité chrétienne est efficace elle aussi, car les trois personnes qui la composent ont ensemble un plan, pour réaliser un projet, qui est le salut du monde. Le projet de Dieu Trinité, c’est le salut du monde, qui consiste à lui donner sa propre vie : Dieu, qui est amour de communion, veut que le monde lui aussi vive de cet amour de communion. Voilà la raison d’être et le résumé de tout ce que nous avons vécu depuis trois mois : le Carême, puis Pâques, puis l’Ascension, puis la Pentecôte. Le Fils, dans le souffle de l’Esprit, est venu habiter au milieu de nous pour nous diviniser. Pendant ce temps de confinement, comme dans une longue retraite spirituelle, il nous a donné de suivre Jésus au désert, puis dans sa Passion, puis dans le temps de sa Résurrection. Il nous a donné d’attendre et d’appeler l’Esprit Saint, et de le recevoir. A présent, nous avons toutes les cartes en main pour distinguer qui est le Père, la troisième personne de la Trinité, qui se cache et qui pourtant se laisse trouver, qui nous appelle et vers qui nous allons. En cette fête de la Trinité, entrons dans le plan de Dieu – c’est vraiment un bon plan !
Amen.