Jeudi 14 avril – Jeudi Saint

Chers frères et sœurs,

Il y a deux semaines, un paroissien parlait avec moi du Dimanche des Rameaux, et il me promettait, si je voulais, de me procurer un petit âne pour la bénédiction et la procession qui précèdent l’entrée dans l’église. Avec un petit sourire entendu, il ajoutait : « Et vous pourriez même monter dessus ! » En moi-même, je me suis dit : heureusement que le ridicule ne tue pas. En revanche, si j’essaye de m’asseoir sur l’âne, c’est sans doute autre chose que le ridicule qui le tuera…Ce matin et cet après-midi, comme chaque année, je cherchais des paroissiens qui accepteraient de se faire laver les pieds au cours de cette messe du Jeudi Saint, et bien souvent j’ai senti la même réaction de réticence. L’un d’eux me l’a même dit explicitement : « Me faire laver les pieds, en public, les orteils exposés à tous les regards ? Jamais de la vie, je serais ridicule ! » Alors, il m’a semblé un peu mieux comprendre le désarroi de saint Pierre dans l’évangile : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jusqu’à présent, je la comprenais surtout comme l’expression de sa gêne devant l’humiliation de son maître ; aujourd’hui, je ressens aussi chez Pierre un malaise par rapport au ridicule de la scène, ce ridicule qu’il n’a juste pas envie de subir en public. Dans la liturgie juive de la Pâque, il est prévu en effet que le plus jeune, le plus petit des enfants de la maison doive laver les pieds des convives. Ce geste était donc bien prévu au début du repas pascal, et l’on peut supposer que c’est le plus jeune des disciples, saint Jean le futur évangéliste, qui aurait dû s’en acquitter. Or Jésus prend tout le monde de court en lavant les pieds de ses disciples, se mettant donc symboliquement dans la peau du petit dernier de la famille. Un demi-siècle après, en écrivant son évangile, Jean, comme Pierre, a dû se rappeler combien il a s’était senti ridicule ce soir-là… Tout était vraiment sens dessus dessous. Résumons : Pierre se sent ridicule, Jean se sent ridicule. Et Jésus ? Eh bien, une des preuves de la liberté souveraine de Jésus, c’est sa capacité à assumer le ridicule simplement et paisiblement. Le repas de la Cène suit de quelques jours l’entrée de Jésus à Jérusalem, que nous commémorions dimanche. Et là aussi, ce n’était pas un geste posé au hasard. Peu de temps auparavant, Ponce Pilate avait lui-même fait son entrée officielle dans Jérusalem, monté sur un magnifique cheval, en grand uniforme, devant ses troupes rassemblées : il avait emprunté la même porte et le même chemin. Aussi, lorsque Jésus, quelques jours après, emprunte le même itinéraire sur un petit âne de rien du tout, c’est quelque peu ridicule. Ou plus exactement, Jésus assume une forme de parodie de cortège triomphal, une forme de moquerie, un ridicule comique. Il déçoit ceux qui espéraient voir l’homme le plus beau, le plus fort, le plus brillant : le Roi qui s’avance est déjà dépouillé. Il a toutes les apparences d’un roi de carnaval, d’un roi ridicule, pour rire. Il se prépare à l’épreuve de demain, le Vendredi Saint, le jour où tout est ridicule à pleurer : des faux témoins grotesques, un procès bâclé, une couronne en épines, une mort minable entre deux brigands. Oui, la Semaine Sainte, c’est ridicule de bout en bout ! Cela dit, le ridicule agit en deux temps. Il fait d’abord rougir, et ensuite réfléchir. Et Jésus de conclure, devant ses disciples interloqués : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Ainsi, en mettant ses disciples dans la situation embarrassante qu’il expérimente lui-même, Jésus leur fait voir les vertus de cet instant de gêne, parce que le ridicule peut devenir un chemin d’humilité et une promesse de liberté. Celui qui consent à être ridicule aux yeux de ceux qui ricanent se délivre du poids des regards, et, pour ainsi dire, il entre déjà dans la Terre Promise.Ce soir, nous sommes rassemblés dans cette église pour célébrer cette messe du Jeudi Saint, et elle est toujours aussi étonnante, année après année. Dans quelques minutes, je me retrouverai à quatre pattes, lavant douze pieds et, croyez-moi, je n’en mènerai pas large, bien conscient de mon ridicule. Et c’est cela, le beau trait d’union entre les trois réalités que nous célébrons aujourd’hui : l’eucharistie, le sacerdoce et le service. Trois déclinaisons de la Pâque du Christ, du don de sa vie jusqu’au bout, pour les siens. Donner sa vie, c’est risquer d’être ridicule, parce que l’on ne donne que ce que l’on a à donner, et tout ce que l’on a à donner. Il faut bien apprendre à en rire ! Dès que l’on aime les autres autrement qu’en théorie, dès que l’on met les mains à la pâte ou dans le cambouis, dès que l’on sort de son confort, on frise le ridicule ou on tombe dedans, et c’est une bonne chose. Rendons grâce au Seigneur de nous faire grandir à travers tout ce que nous pouvons vivre de gênant, de déroutant, de « malaisant », à cause du plus grand amour qui nous y pousse, et qui est capable de transformer le ridicule en source de vie ! Amen.

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