Mardi 1er novembre 2022 – Solennité de la Toussaint

Chers frères et sœurs,

Le 1er novembre, l’Église, avec joie, célèbre tous les saints du ciel ; le 2 novembre, l’Église, dans l’espérance, prie pour tous les défunts. Deux dates qui se suivent, et qui bien souvent se confondent. Il faut dire qu’en France, le 1er novembre est un jour férié, tandis que le 2 ne l’est pas ; et je suppose que beaucoup d’entre vous venez à cette messe de tous les saints avec avant tout vos chers défunts dans le cœur. Je pourrais râler : cette confusion est dommage ! Mais opposer la joie de la Toussaint à la gravité de la commémoration des défunts ne me semble pas très pertinente. Au contraire : cette relation entre les deux fêtes, entre nos morts et la foule des saints, est juste et belle, car chacune de ces célébrations éclaire l’autre.

Il y a quelque temps, un paroissien me parlait du grand drame qu’il a connu, il y a une quinzaine d’année, lorsque son fils de trente ans est accidentellement décédé. Il me disait qu’il était souvent énervé d’entendre des gens lui parler d’eux en faisant du bonheur un slogan facile : « Ma vie ? C’est que du bonheur ! Ma famille ? C’est que du bonheur ! Mon travail ? C’est que du bonheur ! Mes engagements, mes activités, mes relations ? C’est que du bonheur ! » En fronçant le sourcil, il me disait : « Ces gens-là ne connaissent pas grand-chose à la vie. La vie, c’est du bonheur avec du malheur dedans. »

« La vie, c’est du bonheur avec du malheur dedans. » En disant cela, il n’exprimait ni jalousie, ni ressentiment, mais, je trouve, une certaine sagesse. En cette fête de la Toussaint, l’Église nous propose d’entendre ce texte étonnant des Béatitudes, un texte tout en paradoxes, qui, je l’espère, continue à nous surprendre. Si ce n’est pas le cas, c’est que nous sommes un peu anesthésiés spirituellement. Car, honnêtement, qui peut demander à vivre les situations que les Béatitudes décrivent ? La société qui nous entoure a tendance à taxer la douceur de mollesse, et la pureté de cœur de naïveté. Et plus encore, comment imaginer être heureux quand on se fait insulter, calomnier et persécuter ? Qui d’entre nous a envie de cela, pour lui-même et pour ceux qu’il aime ?

Ce qui me semble fondamental en réécoutant les Béatitudes, c’est de toujours nous rappeler que c’est Jésus qui les a prononcées, et pas vous ou moi. Lui en a la capacité, parce que les Béatitudes sont en quelque sorte son autoportrait, le résumé de sa propre vie : sa prédication, sa passion, sa mort et sa résurrection. Si moi, je me permettais d’aller voir quelqu’un qui vient de perdre tragiquement un proche et que je lui disais : « Ah, que vous êtes heureux ! », j’imagine qu’il prendrait cette réflexion pour de la violence. Si j’allais voir quelqu’un qui a tout perdu, qui est l’objet de calomnie, qui est traîné injustement devant les tribunaux – et je crois que nous pouvons tous penser à des situations concrètes autour de nous – en lui disant : « C’est super, quel bonheur ! » je ne serais pas surpris de recevoir un regard noir, voire un point dans la figure.

C’est alors que la sainteté prend tout son sens. On ne peut découvrir le bonheur des Béatitudes qu’en les vivant soi-même : alors seulement, on comprend de quel bonheur il s’agit. La sainteté n’est pas un talisman contre les périls, au contraire. Elle consiste en une capacité à voir l’invisible : dans la peine, voir la lumière ; dans la violence, voir la consolation ; dans le présent, voir l’avenir. C’est pour cela que dans la deuxième moitié de chaque béatitude se trouve une promesse, formulée au futur : ils sont heureux, parce qu’ils seront consolés, parce qu’ils verront Dieu, parce qu’ils seront appelés ses fils. Tout cela, c’est notre avenir : c’est ce que nous découvrirons, ce que nous comprendrons, au-delà de la mort.

Pourtant, il y a deux béatitudes, la première et la dernière, qui sont au présent : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ; Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. » La sainteté, c’est cela : vivre la béatitude au présent, en devenant dès maintenant, sur terre, concitoyens du royaume des Cieux. En somme, nous fêtons aujourd’hui la première béatitude et la dernière, la sainteté au présent, et nous fêterons demain les six autres, celles du milieu, la sainteté à venir.

« La vie, c’est du bonheur avec du malheur dedans. » Celui qui m’a dit cela le disait, malgré tout, avec une certaine tristesse : oui, il y a du bonheur, mais quand même, le malheur est niché dedans, à l’affût, prêt à bondir… En cette fête de la Toussaint, je voudrais reformuler la maxime, de la sorte : la vie, c’est du malheur avec du bonheur autour. C’est presque pareil… mais au lieu que notre bonheur soit abîmé par le malheur qui l’habite, c’est notre malheur qui se trouve illuminé par le bonheur qui l’encadre et le recouvre, comme un grand manteau. Les saints du 1er novembre précèdent les fidèles défunts du lendemain, pour leur ouvrir le chemin et les éclairer et les consoler ; et ils ferment la marche, pour les rassembler. Les saints nous entourent comme des bergers sur le chemin du bercail : avec eux, faisons bonne route !

Amen.

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