Chers frères et sœurs,
Au mois de juin 1912, le poète Charles Péguy, dont le fils Pierre était tombé malade, décida de faire à pied le pèlerinage de Paris à Chartres. Au retour, il écrivit une prière devenue célèbre, la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres, à la fin de laquelle on trouve ce vers qui m’a frappé par son actualité :« Quand nous aurons joué nos derniers personnages, Quand nous aurons posé la cape et le manteau, Quand nous aurons jeté le masque et le couteau, Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages. »Quand nous parlons de masques (nous en parlons souvent), une confusion est possible. En latin, le masque peut se traduire par deux mots différents, ceux de « persona » et « larva ». La « persona », c’est le masque de théâtre, avec un visage sculpté ou dessiné dessus, celui que l’on revêt pour jouer un personnage et pour être vu. La « larva » au contraire, c’est le masque de protection, celui qui dissimule le visage, que l’on revêt pour être caché et pour n’être pas reconnu. La première lecture de ce jour, au troisième chapitre de la Genèse, met en scène la rupture qui advient entre Dieu et l’homme, tombé dans un piège. A la confiance et à la paix originelles succède soudain la peur. Adam et Eve doutent de la bonté de Dieu, et symboliquement ils s’habillent d’un pagne : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. » Adam ressent une peur nouvelle à l’idée d’être nu en présence de Dieu, à l’idée d’être dépendant, pauvre et fragile, alors il cache sa nudité avec ce qui lui tombe sous sa main. Comme nous en ce moment, Adam fait usage du second type de masque, « larva » : Adam pour se protéger de la honte, et nous pour nous protéger du virus. Dans les deux cas, il s’agit de faire écran à ce qui nous fait peur. Mais, je vous le disais, un autre mot existe pour désigner le masque : le mot « persona », en Latin, « prosôpon » en Grec, qui a donné en Français le mot de « personne ». Nous portons tous naturellement ce masque qui dit tellement de choses sur nous : notre visage, que les yeux et le sourire illuminent. Le philosophe Emmanuel Levinas dit que le visage est le lieu par excellence de la rencontre, un lieu où l’on ne triche pas. C’est lui qui montre que nous sommes uniques, et c’est lui qui crée la relation. A Noël, nous fêterons le visage humain que le Fils de Dieu a voulu prendre, non pas pour se déguiser, mais pour être vraiment notre frère, et nous rencontrer en personne, avec la même pauvreté et la même dignité que chacun d’entre nous. Dans la fête de l’Immaculée Conception, nous commençons déjà à célébrer l’Incarnation, puisque Dieu l’a préparée dès le commencement de la vie de Marie, qu’il a comblée de grâce au point qu’elle a été préservée de la peur et de la méfiance originelles à son égard. En elle, il a recommencé en miniature la Création, pour qu’elle soit la sentinelle de notre libération et la pionnière de la confiance retrouvée. En elle, nous découvrons que nous pouvons servir Dieu sans être réduits en esclavage, mais dans une authentique relation d’amour, de personne à personne, de visage à visage. En elle, nous découvrons que tout ce qui nous terrorise est peu de choses devant la bonté de Dieu, à qui rien n’est impossible. Chers frères et sœurs, je ne vous demande pas d’arracher vos masques anti-coronavirus, ce ne serait pas très approprié. Mais je vous invite à arracher spirituellement de votre cœur tous les déguisements, toutes les barricades, tous les filets de protection qui vous retiennent de vous abandonner à Dieu. Pour vivre heureux, cessons de vivre cachés. Désirons ce jour où, face à face avec Dieu, main dans la main avec Marie, nous serons enfin démasqués ! Amen. Pour poursuivre la prière avec Charles Péguy :https://www.youtube.com/watch?v=VTfm3zK3ax8