Nuit de Noël – Vendredi 24 décembre

Chers frères et sœurs,

Jésus-Christ vient donc de naître à Bethléem, et, en le berçant dans ses bras, la Vierge Marie se souvient. Six mois auparavant, elle se trouvait chez sa cousine Elisabeth qui était en train d’accoucher. Tout en lui prêtant main-forte, elle prenait mentalement des notes, et elle anticipait le jour de son propre accouchement : elle se disait que cela se passerait de la même façon, dans sa propre maison, dans son propre lit, avec une cousine ou une amie pour l’aider et dans un certain confort…

Or… Patatras ! La voilà, aujourd’hui, dans la nuit froide, dans une ville où elle ne connaît personne, à des kilomètres et des kilomètres de chez elle, au beau milieu d’une étable, avec Joseph à ses côtés en guise de sage-femme, et des animaux comme radiateurs. Non, vraiment, rien ne s’est vraiment passé comme prévu. Ce 24 décembre 2020, nous ressemblons tous un peu à Marie : pour nous non plus, cette année, rien ne s’est passé vraiment comme prévu. Ce que nous avions imaginé, préparé et planifié ne s’est pas déroulé normalement. Nous avons été confrontés à l’inconnu, à la maladie, au confinement, aux restrictions, et symboliquement notre assemblée limitée, masquée et distanciée en est le signe ; pour nous non plus, il n’y a pas assez de place dans la salle commune qu’est notre église paroissiale.

Aussi, après l’Avent qui était le temps de l’attente, je voudrais vous inviter à contempler Noël comme la fête de l’Improvisation. Cela pourra vous paraître contradictoire : à Noël, nous célébrons Dieu qui, comme il l’avait prévu, est venu à nous qui étions incapables d’aller à lui, et qui s’est manifesté selon un plan bien établi. Certes. Mais pour les hommes, Noël vient toujours par surprise, Dieu se présente toujours à l’improviste Et Jésus bébé fait déjà ce qu’il fera tout au long de l’évangile : il est là où ne l’attend pas, il dit ce que personne n’ose dire, il étonne, il sort des sentiers battus, il est signe de contradiction, il fait preuve d’une liberté incroyable.

Il faut que nous nous entendions sur ce mot d’« improvisation ». De même qu’il faut distinguer le bon chasseur du mauvais chasseur, de même il existe une bonne improvisation, et une mauvaise. La mauvaise désigne le résultat de la paresse et de la désinvolture : faute d’avoir été prévoyant, on finit par faire à la dernière minute des choses importantes, dans l’urgence et le désordre, et c’est pour tout le monde une source d’angoisse et de stress. Cette improvisation-là, mieux vaut l’éviter ! Ce n’est pas cela que célèbre Noël. La « bonne improvisation » à laquelle je pense, c’est la capacité à composer et à interpréter en un temps très court une œuvre d’art – cela demande un peu de talent et énormément de travail. Un de mes cousins était jadis organiste à la Primatiale Saint-Jean de Lyon, et chaque dimanche après l’homélie il improvisait sur son orgue une pièce musicale d’après l’évangile : une deuxième homélie, en somme, faite de notes et non pas de mots ! Au théâtre, de même, l’improvisation est un spectacle sans filet, sans texte écrit, dont le succès repose sur la réactivité et la finesse des comédiens… L’improvisation, quel que soit son domaine, révèle par sa pertinence et par sa fluidité quelle a été en amont la quantité de patient travail fournie par l’artiste.

En ce sens, il me semble que Marie et Joseph sont de vrais champions de l’improvisation. Leurs plans ont été bousculés : ce voyage administratif leur a été imposé au moment du terme de la grossesse, et la situation n’est pas idéale. Il n’y a pas d’auberge disponible, c’est de moins en moins idéal. Face à ces imprévus, Marie et Joseph, sans paniquer, improvisent : c’est-à-dire qu’ils observent, discernent et choisissent le meilleur bien possible. Il en va de même des bergers : le concert céleste qui se déclenche devant eux pourrait les troubler. Mais, posément, ils observent, discernent et choisissent le meilleur bien possible, et, laissant leurs brebis au pâturage, ils partent à la recherche du Sauveur nouveau-né.

A la suite de Marie, de Joseph et des bergers, l’Eglise est décrite par saint Paul comme « un peuple ardent à faire le bien. » Faire le bien, ce n’est pas toujours atteindre un idéal théorique. Ce n’est pas maîtriser la situation de bout en bout. C’est, pragmatiquement, observer, discerner et choisir le meilleur bien possible dans une situation particulière, pour ce prochain qui nous est donné, dans cet inattendu qui nous arrive. Pour improviser ce bien, il faut avoir auparavant longuement fréquenté le bien, l’aimer et le désirer de tout son cœur. Pour reconnaître Dieu qui continue de se venir à nous par surprise, il faut de même avoir auparavant longuement fréquenté Dieu, l’aimer et le désirer avec un cœur ardent. Ne l’oublions pas : l’improvisation, ça ne s’improvise pas, ça se travaille !

Chers frères et sœurs, au terme de cette année éprouvante, je vous souhaite un joyeux Noël, une joyeuse fête de l’Improvisation. Pour faire face à l’inconnu qui met nos plans en suspens, soyons des artistes : fréquentons le Seigneur, travaillons notre amitié avec lui, laissons-le travailler notre cœur, afin de pouvoir observer, discerner, choisir – bref, improviser le meilleur bien qu’il met toujours à notre portée.

Amen.

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