Samedi 24 décembre 2022 – Messe de la Nuit de NoëlSamedi 24 décembre 2022 –

Chers frères et sœurs,

Lorsque vous pensez à Noël, quel est l’animal qui spontanément vous vient à l’esprit ? La réponse semble aller de soi : l’âne et le bœuf, bien sûr, les locataires de la mangeoire où l’enfant Jésus a été déposé, sont chez eux, et ces deux bestiaux ont une place centrale dans l’imagerie de Noël. Avec eux, l’évangile évoque aussi des moutons, dont les troupeaux sont confiés à la surveillance des bergers que l’ange vient visiter : logiquement, les bergers les laissent dans les collines pour courir à Bethléem, mais nos crèches, généreusement, leur font aussi une place. Enfin, à l’épiphanie, on verra peut-être apparaître quelques chameaux, montures exotiques des Mages venus d’Orient. Voilà, je crois, la liste officielle des animaux de Noël.

Or, depuis quelques années, à Noël, je pense à un autre animal : le hérisson. Drôle d’idée de fêter la douceur de la Nativité avec une espèce de taupe recouverte d’épines ! Si je pense au hérisson, c’est à cause d’une enluminure trouvée un jour dans un traité du treizième siècle, et qui représente un hérisson dont les piquants semblent couverts de boules de Noël, rouges et vertes, à la manière d’un petit sapin ambulant. L’image, inattendue, m’a étonnée et je me la suis rappelée ; puis j’en ai découvert la signification : dans l’histoire naturelle classique (peut-être chez Pline ?), on expliquait qu’à la fin de l’été, à l’approche des vendanges, les hérissons parcourent les vignes et se mettent à secouer vigoureusement les ceps, pour en faire tomber au sol les raisins mûrs. Puis ils se roulent par terre, de façon à ce que les raisins se plantent sur leurs épines. Alors, recouverts de ces fruits comme des sapins de Noël, ils n’ont plus qu’à rejoindre leur terrier et à nourrir leurs petits affamés, qui viennent déguster les raisins comme sur des brochettes.

Depuis que j’ai découvert cette enluminure et son explication, le hérisson me fait penser à un sapin de Noël : très bien, direz-vous, mais tout cela n’est pas très spirituel. S’il faut trouver un lien avec les lectures de cette nuit de Noël, c’est peut-être d’abord du côté de la première lecture : « Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. » Le prophète Isaïe parle à des croyants lassés d’attendre encore et encore un Messie qui ne vient pas, alors que les malheurs et les injustices se multiplient. Alors, pour leur donner courage, il leur décrit la joie qui sera la leur : une joie pareille à celle qui vient après l’effort, après le combat, quand on contemple enfin le résultat, la victoire, la récompense chèrement acquise, dignement gagnée. Je pense alors aux petits du hérisson, dans leur terrier, qui ont vu leur mère partir et qui ne savent pas quand elle reviendra : un jour, peut-être ? Jamais, peut-être ? Et leur joie est à son comble quand non seulement elle réapparaît, mais quand ils découvrent, en plus, que son dos est recouvert d’un festin de raisins mûrs, rien que pour eux.

Oui, la vraie joie passe par la surprise. Dans un livre de pensées qu’il vient de publier sous le titre Veritas tantam, Olivier de Kersauson remarque que la société moderne a petit à petit remplacé le voyage par le déplacement. Dans le déplacement, tout est écrit d’avance : on connaît l’heure exacte de son train aller et de son train de retour, tout est sous contrôle. Dans le voyage, au contraire, on sait quand on part, mais on ne pense pas encore au retour, on est disponible à ce qui va arriver sur la route, et que l’on ne connaît pas par avance. Si j’osais, je dirais que les grèves de la SNCF nous permettent pour quelques jours de laisser le confort du déplacement pour retrouver l’aventure oubliée du voyage… Le voyage suppose de la persévérance, de la patience et de l’espérance. Ainsi Joseph avec Marie enceinte de neuf mois ont fait à pied les 145 kilomètres qui mènent de Nazareth à Bethléem, sans pouvoir prévoir la météo ni le trafic, sans avoir réservé par booking-point-com une chambre avec vue à chacune des étapes. Et, à la fin, le nouveau-né pointe son nez. Ils revivent en miniature la longue attente du peuple d’Israël, dont l’histoire a été un voyage de plusieurs siècles vers le Messie qui devait venir un jour, à une date inconnue. Comme les petits du hérisson, tous ceux pour qui Noël a du sens ont auparavant fait l’expérience de l’attente interminable…

Chers frères et sœurs, Noël nous invite à imiter les choupissons – oui : ce nom charmant désigne, paraît-il, les bébés hérissons – dans leur espérance puis dans leur joie du retour de Celui qui vient nous combler de la vraie vie. Mais Noël nous appelle aussi à être comme la maman hérisson, qui utilise ce qui fait sa mauvaise réputation, à savoir ses épines – qui s’y frotte, s’y pique – pour faire le bien autour d’elle. De même qu’elle se roule dans les vignes pour grapiller les raisins mûrs, de même, ne repartez pas de cette messe de Noël sans avoir fait provision des fruits spirituels que Dieu veut vous offrir. Secouez de toutes vos forces le mystère de Noël, et repartez chez vous chargés de ces raisins de la paix qui vous accompagneront pour le voyage de la vie ! Et puisque la vraie joie passe par la surprise, au cours de cette messe que vous croyez peut-être connaître par cœur, laissez le Seigneur vous parler et vous inviter à de grandes choses ; laissez vos épines devenir des brochettes pour glaner les dons de Dieu, posez vos défenses et ouvrez vos mains pour devenir « un peuple ardent à faire le bien. » Que le Seigneur bénisse les choupissons et les hérissons que nous sommes !

Amen.

Accès rapides

Le denier

Newsletter

Recevez les dernières actualités et la feuille d'informations directement dans votre boîte mail.

🍪

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre navigation.